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réenchanter le monde

Entretien avec Milaya Lodron, propos recueillis par Anne de Grossouvre in Terre du Ciel, n°76 fev-mars 2006

Milaya Lodron est née en Autriche, à Salzbourg. Issue d'une famille d'artistes, elle commence très jeune une carrière de comédienne, d'abord en Autriche puis en France. Ce métier, loin d'être cependant pour elle source de satisfaction égotique la conduit à un travail sur ses propres blessures. Consciente que c'est de celles-ci que naîtront des forces nouvelles, elle s'engage dans une recherche personnelle, à la fois spirituelle, thérapeutique et artistique. Dans ce dernier domaine, elle travaille le chant et s'intéresse aux "voix spontanées et archaïques". Elle découvre alors son chemin et devient art thérapeute, incarnant ainsi sa vision de l'artiste : celui qui, à la lisière entre concret et indicible, participe au réenchantement du monde et y initie ses contemporains.

Participer à un atelier avec vous, c'est prendre le risque d'être amené à embrasser amoureusement un arbre et à laisser monter un son jusque là impensable. Qu'est-ce qui a pu pousser une jeune comédienne, déjà reconnue, ayant fait sa place dans les grands théâtres de son pays, à quitter cette sécurité et cette reconnaissance pour se lancer dans cette aventure ?
Ma vie ressemble, dès le début, à un télé feuilleton. Je suis née dans une famille d'artistes qui a connu tous les chamboulements des années d’après mai 68. Je peux en rire maintenant, raconter cela comme un conte, avec ses péripéties, mais cela a longtemps été une cause de souffrance.
C'est pour cela que le théâtre a été pour moi, par nécessité, un lieu sacré et une thérapie : le fait de prendre contact avec quelque chose de profond pour aller sur scène m'a permis d'être centrée, de regarder tout ce que je ne trouvais pas juste dans ma vie comme un matériel faisant partie de ma richesse. C'est cela qui faisait de moi une bonne comédienne. Bien sûr plus tard je me suis rendue compte que j'avais besoin de faire une thérapie, que l'art était ce qui me permettait de ne pas tomber dans la drogue ou autres délires mais que je devais aller plus loin.
Encore en Autriche, j'avais été en contact avec la Sangha Zen de Taisen Deshimaru. Quand je suis venue en France, et bien qu'à Paris j'aie encore fait du théâtre, c'est le chemin spirituel pour lequel je ressentais un grand appel. J'ai effectué une année de retraite Zen à la Gendronnière. Cette retraite m'a permis d'entrer en contact avec d'autres espaces, avec le silence, et pour moi, qui suis quelqu'un de vivant, aimant parler, cela a été une découverte merveilleuse, le grand cadeau du Zen. Il m'aurait été tout aussi possible alors de devenir nonne  pour le reste de ma vie. Pendant cette année je ne savais vraiment pas ce que serait ma vie, j'avais tout arrêté, mis les trois quatre choses que j'avais dans une cave.
Cela a été un réel lâcher-prise qui m'a permis de me poser la question de ce que j'allais vraiment faire de ma vie. Il me fallait accepter de ne pas aller dans mes facilités antérieures, mais de creuser plus profondément ce que je voulais. Je sentais confusément que c'était quelque chose en rapport avec la voix.
La voix avait toujours été pour moi, en tant que comédienne, plutôt  un baromètre de fragilité. Alors que je devais l'utiliser pour survivre sur scène, j'avais connu de graves problèmes, des aphonies momentanées pendant lesquelles ma voix disparaissait. Dans le chamanisme on dit que là où est ta plus grande blessure, là aussi est ton plus grand potentiel. On est amené à creuser effectivement "là" et à faire ses expériences "là".
Je suis allée chez de nombreux professeurs de chant. Je recherchais quelqu'un qui puisse m'aider, je ne comprenais qu'à moitié que cela avait quelque chose à faire avec une blessure très profonde. Cette approche avec la voix a donc d'abord été une approche de guérison, quelque chose pour moi de vital. J'ai beaucoup appris dans ces cours mais ce qui m'a frappée, c'est que tous les enseignants étaient attachés à une grande technicité et je voulais confusément autre chose.
Je me suis inscrite à l'INECAT (Institut National d'Expression, Création et Art Thérapie), mais comme je n'avais pas de droit en France, il m'a fallu trouver un travail.  J'ai travaillé aux Galeries Lafayette. Moi qui ne connaissais que des artistes, un cercle d'intellectuels, de thérapeutes aussi, j'ai connu des choses que j'ignorais avant : des chefs de rayons abominables, la mesquinerie, la petitesse. C'est une expérience qui m'a permis de comprendre que c'est une grâce d'être artiste, d'avoir ce don, non pas pour s'en gargariser mais pour le partager. Cela a été un véritable retournement.
A l'INECAT,  j'ai suivi une formation d'art thérapie en espace sonore et de musicothérapie axée sur tout ce qui est technique vocale et thérapie vocale ainsi qu'une formation de formatrice en chant sacré, chant naturel et chant populaire.

Tout cela cependant se passait à Paris, comment en êtes-vous venue à accorder une si grande place à la nature, dans votre pratique ?
J'avais eu la chance de grandir en Autriche, chez mes grands-parents. Nous allions souvent dans les Alpes. Je m'étais souvent baignée, enfant, dans les lacs de montagne, j'avais nagé dans l'eau glaciale, j'aimais me mettre de la glaise, jouer à me faire un costume de sauvage. J'adorais ce contact avec la nature. Il m'est devenu de plus en plus clair qu'avoir un contact direct avec un lieu était vital. Sans trop m'en rendre compte et sans trop le chercher, j'ai commencé à chanter dehors, avec une cascade, avec un arbre. Cela peut vraiment paraître idiot de l'extérieur, mais dès qu'on se permet de ne plus se laisser mener par "monsieur le juge" lorsqu'il fait ses commentaires, dès que l'on s'ouvre à ses perceptions, alors naturellement, directement, cela ouvre tout un univers. Cet univers est présent chez les peuples d'Amazonie ou chez les chamans d'autres régions. Je crois que le contact avec les chamans qui viennent chez nous actuellement est très fort et très enrichissant, mais je crois aussi que nous pouvons, là où nous sommes et tels que nous sommes, rétablir un lien. Ce lien intime avec la nature est la base de pratiques très anciennes dans toutes les cultures. Après tant d'années dans des salles, à la lumière artificielle, dans des milieux artificiels, vivant le soir, parfois ne voyant pas un arbre de près pendant des semaines, je vivais une vraie renaissance.

Est-ce cela "réenchanter" le monde et comment définiriez-vous ce terme devenu tellement à la mode, avec toutes les réserves que l'on peut mettre devant une expérience qui dépasse de beaucoup le langage ?
C'est plus simple que ce qu'on croit. J'ai eu dernièrement une expérience très concrète avec la cascade qui se trouve sur le site de l'Institut Karma Ling. C'est une petite cascade avec laquelle je sens que je suis vraiment entrée en contact. Dans la terminologie chamanique on dirait "un contact avec l'esprit du lieu", mais il n'est pas nécessaire de s'enfermer dans des concepts. Il y a un moment où on est à l'essentiel, à la source. Après on peut emprunter et dire que, dans un contexte ce sera ça et dans un autre ça, pour pouvoir en parler. Mais concrètement c'est vrai que j'ai compris, à cet endroit-là, ce que voulait dire "avoir une connexion avec un lieu". J'ai compris intimement que si l'on mettait des barbelés là devant, cela ne pourrait pas me laisser indifférente, que cela me toucherait au plus profond de moi-même, que je n'accepterais pas qu'on aille exploiter cette cascade car ce serait comme exploiter une partie de moi-même. Il m'est devenu évident que ce qui arrivait aux Kogis de Colombie ou aux Shipibo du Pérou était horrible parce que ce sont des êtres humains qui ont un lien avec le lieu, qui sont dans une unité par rapport à leur milieu. J'ai compris aussi que ce n'est pas difficile de vivre cela pour nous, de retrouver cette unité, si nous nous ouvrons à cela. On peut s'occuper d'environnement, faire de l'écologie avec sa tête mais ce qui est décisif c'est de sentir dans son corps la nature, sentir que ce n'est pas un joli décor à préserver, mais une part intime de nous-mêmes.
Malheureusement nous chosifions la nature, une nature devenue un décor pour promenade sympa, randonnée, activités sportives ou autre. Elle est perçue aussi comme quelque chose de consommable. Pour moi, il s'agit tout simplement de se réouvrir à cette compréhension, qu’enfant nous avons tous eue : nous pouvons avoir une amitié avec une cascade, un arbre… c'est quelque chose de palpable pour peu que l'on accepte de reprendre goût à l'aspect ludique, réjouissant et non mental que cela peut prendre.  Et si l'on s'ouvre à cette unité, à cet "Unus Mundus", on entre dans quelque chose de spirituel, C'est effectivement plus facile avec les moyens artistiques : quand je vais chanter près de la cascade, cela me donne des voix, des sons et des ressentis qui ne sont pas les mêmes qu'en salle, même si c'est une salle magnifique. Une telle énergie, l'eau, un tel site et un tel son, il n'y a qu'une vraie cascade qui le fait et basta. La cascade, dans sa qualité de cascade, dans sa merveille d'être cascade, je l'aime et il y a quelque chose de cette cascade que je peux effectivement apprendre. Cela me sidère souvent dans ma pratique : j'ouvre la bouche, je travaille avec un tambour, je suis près de la cascade, des chants viennent et je sais que si je devais les inventer j'en serais incapable. Ces voix, ces tonalités, ces mélodies qui viennent de moi m'étonnent toujours. J'ai appris certaines techniques, mais ça, je ne l'ai pas appris. Je ne nie pas le travail mais je me rends compte que le chant nous permet d'être connecté à d'autres choses. Il suffit d'accepter cela et d'accepter d'autres connexions que celles que l'on connaît. Un arbre, par exemple, on ne sait plus le regarder, c'est un truc qu'on peut couper ou pas selon qu'il est joli ou qu'il fait trop d'ombre et voilà. Mais la merveille de l'arbre, sa présence depuis 150 ans peut-être, revoir cela…

Comment amener, dans le monde dans lequel nous vivons, les gens à renouer avec cela quand ils y ont été si peu sensibilisés, est-ce que cela ne peut pas passer uniquement par l'expérience ?
Oui, l'expérience est primordiale. C'est un des axes de travail dans mon projet. Je cherche une ferme pas trop loin de Paris. C'est en effet plus facile d'amener d'abord des personnes en salle et de faire quelque chose d'ordre artistique avec eux. Beaucoup plus de gens qu'on ne croit se sentent interpellés quand ils lisent  "voix archaïques" sur la brochure.  Ils m'appellent et demandent ce que c'est "chant primordial", "chant chamanique". Ils n'ont jamais eu de contact avec cela, parfois juste lu un article, mais il y a quelque chose qui vibre en eux rien qu'à lire le mot. Une fois qu'ils ont fait une expérience, on peut aller plus loin, ils peuvent prendre conscience que la façon habituelle d'aller dans une salle à Paris faire du yoga ou autre chose de cet ordre, laisse un manque. Dans mon projet, il y a donc un premier axe d'expérimentation sous forme ludique avec des ateliers ouverts à tout le monde, il y a ensuite un deuxième axe d'enracinement dans le lieu que l'on aura trouvé d'une part et avec les structures locales déjà existantes d'autre part. Enfin, le troisième axe sera de travailler avec des personnes ayant une plus grande implication, un cheminement plus profond et qui font justement la jonction chamanisme, alchimie, voies spirituelles dans un sens très large. Je crois que l'on peut faire par le biais social autre chose que des ateliers "occupationnels"  pour nos enfants ou nos anciens. On peut effectivement les ouvrir à une richesse et essayer de transmettre quelque chose de plus profond… enfin, on n'a pas besoin de dire exactement ce qu'on fait, on le fait et ceux qui ont cette sensibilité suivent. Parce que je suis artiste, pour moi le moyen artistique, l'oralité, le conte, le  chant, sont des moyens vraiment magiques. Là je suis dans le réenchantement. C'est ma porte d'entrée.

Quand on vous écoute chanter, on a l'impression de pénétrer dans un monde curieusement à la fois étrange et familier. Ces mots "voix archaïques", "voix spontanées" qui font s'inscrire les personnes aux stages, que recouvrent-ils au juste ?
La formation musicale telle que je l'ai vécue donne une grande technicité mais rarement une approche holistique. Pour jouer du violon il faut effectivement apprendre à utiliser l’instrument et pour chanter, il faut se familiariser avec la respiration, avec la voix. Mais on peut faire cela dans une approche spontanée et directe. L'enseignement musical, en Europe, qui vise à obtenir la crème de la crème des musiciens, est une usine de mise en échec et crée beaucoup de blessures. Dans mes stages, des personnes viennent au début et me disent : "Je ne sais pas chanter, ça fait des années que je n'ai pas chanté mais je sens cette envie il y a comme quelque chose qui me manque  mais ma voix est horrible et je chante faux" et au bout du deuxième jour ils font une impro, bien sûr guidée, mais tout seul devant les quinze autres. Ils sont capables de vivre leur voix. Quand on se reconnecte à cette énorme joie de chanter, spontanément, on se connecte aussi à des voix autres, plus basses, des voix qu'on dirait venir de Mongolie ou de Sicile, du fond des âges. On se reconnecte à tout un inconscient collectif pour peu qu'on lâche le préjugé de dissonance. Il y avait, dans la musique européenne, ce qu'on appelle le "diabolus in musica", qui était l'interdiction de jouer certains intervalles considérés comme diaboliques car dissonants, et cela jusqu'à il y a 400 ans. J'aime beaucoup l'histoire d'Athéna dans la mythologie grecque. Athéna a trouvé une double flûte et s'est mise à jouer. Elle a trouvé le son très beau et a voulu le faire entendre aux autres dieux de l'Olympe. Mais lorsqu'elle a joué, tous les autres ont ri. Pourtant c'était très beau, alors elle a pris sa flûte, est allée au bord du lac pour se regarder jouer et elle a vu que son nez se ballonnait, que ses yeux se plissaient, que son visage devenait tout rouge et elle a jeté sa flûte. Cela montre très bien que quand on chante  vraiment (et quand on écoute les chamans on le voit bien) ce n'est pas beau dans le sens du "bel canto" italien. Non, pour vraiment travailler la voix, il s’agit d’accepter les grimaces, d’accepter nos voix animales, d’aller chercher du côté des divinités terribles de voir comme elles sont représentées sur les tanka tibétains par exemple. On va aussi du côté de Kali et des dakini, du côté de ce féminin terrible, qui fait peur. Et tout ça n'est pas très joli mais pour pouvoir vraiment chanter et faire un chant de guérison il faut réintégrer cela, ce qui nous a été interdit, mais qui existait aussi dans notre culture et qui n'est pas la bonne culture classique bien sûr. Je vois mon travail comme "la création de la condition d'émergence de"  et après il y a vraiment des choses qui émergent. Quand elles commencent à chanter, certaines personnes ouvrent leur bouche et cela ne sonne peut-être pas beau, mais c'est authentique et il y a quelque chose qui tout de suite est touchant. D'autres, souvent ceux qui savent chanter, vont faire une petite opérette, voudront s'en tirer avec de jolis sons. Mon travail est de démanteler ces constructions que l'on peut se fabriquer. A un niveau plus technique, mon travail est de faire aller vers sa propre voix naturelle, celle qui vibre dans nos os, dans notre corps, dans nos cavités  c'est à dire qui se cherche les meilleurs espaces de résonance. C'est comme cela qu'elle est bien placée. C'est un cheminement. Il ne s'agit donc pas de la contrôler, de la forcer dans certaines résonances comme on le fait dans le chant classique où, avec beaucoup de technicité, on force  la voix dans le masque. L'approche que je pratique permet d'aller dans la matière sonore et de laisser vibrer cette voix naturellement dans la résonance qui lui est propre. La voix aura la hauteur et le timbre uniques et propres à chacun.  Mon travail ne vise pas du tout la maîtrise  mais le lâcher-prise ou le "lâcher mes crises" pour que chacun puisse se rendre compte, qu'il a une voix qui sonne juste parce qu'elle émerge de lui dans un espace où le silence est présent et vibre, et là on est dans les voix spontanées et archaïques. Dans mes stages, je travaille aussi la méditation, la respiration, les danses en cercle, l'énergie, l'appui, l'enracinement à la terre, l'aplomb, l'alignement et la verticalité … Bien sûr notre instrument, le corps, est important, car c’est à travers lui que l’on touche à tout cela  quelqu’en soit l’état d’avancement de notre  travail, ce n'est pas si important. Quand cette ouverture intérieure se fait, les personnes se connectent à ces espaces, et c'est beau, c'est vrai. Souvent des craquages se produisent, parce que c’est très fort de se permettre de s'exprimer, de chanter avec sa vraie voix ou avec ses vraies voix. Les gens ont très peur de chanter devant les autres, on est tout de suite dans l'intime lorsque l'on chante. Alors je procède doucement,  je ne pratique pas de "mises à nu". Avec cet aspect ludique, par des techniques plus primordiales, je permets que s'ouvrent ces espaces de guérison où justement un craquage ou un lâcher prise deviennent possibles. J'ai conscience, par ma propre expérience, que les blocages de voix sont souvent liés à de grands traumatismes. Voix et premier chakra sont extrêmement liés. Je fais donc travailler énormément toute la zone du périnée, coccyx, pelvis etc. des zones intimes importantes à respecter. Ce qui est génial avec l'art thérapie, qui est selon moi la grande merveille, c'est qu'on y travaille sur l'œuvre. On est donc dans le trois : il y a la thérapeute ou animatrice, la personne qui travaille et le troisième élément, comme dans le tao, c'est le vide, l'espace intermédiaire d'où la création émerge. C'est une merveilleuse médiation qui donne à la fois quelque chose qui agit en profondeur au niveau corporel et du matériel artistique avec lequel on peut transformer les émotions qui remontent. J'aime être, dans mes stages, dans l’archaïque, travailler avec des méthodes chamaniques, alchimiques, de transformation, transmutation, où l'on va malaxer le matériel et, à travers des processus de création, intégrer l'ombre.

N'est-ce pas dans ce sens que l'on peut parler de chant sacré ?
Dans toute cosmogonie et dans les rituels spirituels les plus anciens, l'élément acoustique, chant ou son, est décisif, ce n'est pas un élément d'accompagnement ni de décor. On est dans l'ordre des résonances, des ondes, de l’oscillation Cela renvoie à une spatialité primordiale. Le chant nous met tout de suite dans cet espace premier où s'est déployée la première vibration. Il y a aussi toute la dimension de l'impermanence, de l'intraçabilité, on n'a pas de traces du chant. En chantant je me sens très facilement connectée à l'indicible, il y a à la fois cette dimension de spatialité, de légèreté et en même temps le côté viscéral, animal, terrien. Pour vraiment chanter, c'est un effort, c'est un travail, ça "me" travaille, c'est dans la matière. On est donc en plein dans ce passage entre matière et non matière, dans ce passage entre concret, charnel, vécu, sensuel et l'Ineffable, l'Indicible. Par le chant on est tout le temps à la lisière des deux. Quand on s'est ouvert, qu'on a acquis cette sensibilité-là, la voix guide toujours plus avant, elle crée cette porte de passage jusque là insoupçonnée.

 

voix spontanées / voix archaïques ou l'apprentissage de l'un visible

texte de Anne de Commines

L'IN AUDIBLE
Toutes les traditions initiatiques ont gardé la mémoire millénaire du son, de l'in ouïe. Au creux de notre oreille, en nous, la terre prolonge son propre retentissement, cet éclair qui la mit en mouvement. Depuis, elle est retournée au silence et nous quêtons sans cesse sa première communion avec la musique des sphères.

Dans les pas des Trouvères, des Chamanes, des Soufis, Milaya Lodron entre constamment en con-tact avec cette part sauvage de la terre, embrasse l'ampleur des nuits, vocalise dans ses arrières forêts/ récite l'âge de ses forêts et retrouve sa plus ancienne amplitude vibratoire.
Chanteuse, elle accompagne l'ode des cascades, la rumeur du vent et porte au cou cette voix primordiale comme une audiance du jour, en fulgurant écho à l'infini. Dans ses stages vocaux, elle ouvre votre écrin, ressuscite vos cordes les plus chères et travaille en / avec vous la puissance du chant sacré tapi dans votre choeur confident.

Dans les interdits et les inter-dits quotidiens, qu'est-ce que la voix véhicule ? De quoi sommes-nous porteurs ? Comment faisons-nous signe ? Peu d'êtres le savent. Les stages de Milaya Lodron invitent d'abord à sortir votre propre note, à vous émettre en conscience, à vous situer par rapport à l'autre. Dans la proximité et la densité / à la faveur savoureuse d'un groupe à forme de choeur, on se met en souflle, en corps, en voix.

Durant deux jours, vous côtoyez vos espaces indicibles. A force de souffles, baigné dans une méditation profonde, vous assemblez  le silence en votre fort intérieur pour faire naître votre rythme propre. Puis, la danse se saisit de l'espace, prend forme et le chant se met en corps. De danses rituelles, ballets traditionnels en cercles, en processions lentes aux transes douces, le corps peu à peu résonne. Un tremblement vous éspère. En équilibre sur le fil ténu de vibrations inconnues, le geste d'abord s'étrange, puis se déploie et enfin se verbalise. Le long de ce filament subtil, votre corps prend voix et s'en chante.

Milaya Lodron s'inquiète de vous. Pour cette art-thérapeuthe, nul n'a de problème vocal, peu importe le ton juste ou non juste, seul compte l'authentique. Populations très défavorisées, handicapées ou bien portants, le chant détend la souffrance, ouvre à l'accueil et nous livre, nous délivre ce que nous sommes. Chacun alors peut toucher l'essence, peut transmettre de l'intime à l'autre et faire entendre sa propre colonne de résonnance.
Milaya LODRON prend donc soin de vos silences, de vos craintes, de vos élans et taille lentement l'oscillation du chant. Peu à peu elle vous apprivoise, fait vibrer votre voix intérieure, la place en vous et, à ses côtés, vous apprenez à la faire briller, (à la) partager / ce deuxième corps (de vous-mêmes).

(LE CHANT) UN TRAVAIL IN-SPIRÉ
Les sons travaillés chez Milaya Lodron proviennent du ventre de la terre. Elle puise  le cri dans le chamanisme ancestral, les litanies respirées dans la transe soufie et les assort de bruits, de poussées animales. De la genèse humaine à sa suprême libération, la respiration lui a toujours  enseigné le mouvement, ainsi son geste soigne et son coeur peut guérir. Dans la lignée de cet accompagnement, Milaya alchimise le son en tonalités de l'âme/ almées.
Ainsi, traversé par la danse, la posture, la médtation, vous dissolvez des souffles alletants dans des états d'abandon, ouvrez à des expansions de consience, dilatez, vous voyagez hors des pores (de la peau). Au même con-tact de l'air, vous activez des images symboliques, recevez des visions archétypiques, vous accouchez de vos plus belles reliances. Enraciné sur le sol, vous vous tendez tel un arbre, captez l'élan du ciel vers la terre, vous prenez la mesure de leur chant. Chez Milaya LODRON, vous devenez l'ami de ce qui vous franchit, vous habite et vous dépasse.

ET LE VERBE SE FAIT CHAIR COMME UNION

Baigné des autres, de leurs élans, le ciel en vous entend, vous accroît en degrés,
résonne amplement et ajoure en vous un séjour céleste.

Mais, finalement, qu'est-ce que l'indicible expérience du chant ? Le son est ephémère, intraçable, il s'évanouit dans le silence - nous dit Milaya - on est continuellement à la lisière du visible, de l'inaudible. Vous voguez doucement, légèrement d'une rive à l'autre, d'un pore à l'autre de vous-même et le chant vous interroge sur votre inscription.

Aussi, au sortir d'une séance dansifiée, l'art-thérapeuthe suscite votre souvenir, l'empreinte de votre voix à travers l'écriture, la poésie, le dessin. Au mot, au trait qui vous conjoint, vous restituez la sensation, la rendez palpable. Ce travail est nécessaire à l'appropriation du chant. Graver les volutes vocales, figurer la chair du mouvement, faire l'éloge de/ livrer ses visions permet de fixer / de cristalliser ce chant bien assis et bien à soi. Dans les stages de Milaya LODRON vous caressez ce qui nous fait de son / notre constitution sonore, l'écho de l'âme, ce refrain de vie qui vous chatoie et vous fait naître.

Le chant en soi est insaisissable, incompréhensible, il élève le sensible à la surface de nos peaux, polit le silence sur la face de l'œuvre, émet, dépouille un geste pur. Il doit donc être re-présenté, présenté/ délivré à nouveau pour en partager le vibrant. Vos écrits, vos graphismes renseignent sur/ attestent de la vibration que vous avez incorporée, faites vôtre. Milaya vous fait alors là, éprouver votre fréquence vibratoire et vous tissez de l'intime avec ce divin qui s'incarne.

Communion, terre, joie, liberté, vie, cercle, jaillissement...  ces mots tournoient fréquemment dans les stages de Milaya Lodron, se mêlent à des explosions de couleurs, des mandalas ou se reposent sur des tons pastels. Cet art brut témoigne de la véritable émergence, de l'apparition (de soi à soi, de soi à l'autre), tout comme le son fut, à l'origine le grand générateur.

Contrairement aux chants européens classiques exigeant moults contraintes pour une savante maîtrise, les voix archaïques, comme leur nom l'indique, sont étonnamment spontannées. Elles tiennent du cri, de l'anté cri, de la larme, des premières et plus naturelles pulsations du corps.
Dans les stages de Milaya Lodron, la voix vous ancre dans votre corps, encre dans le tissu des choses, de la vie. Chanter c'est entendre ses résonnances prendre part sa petite voix intérieure et reconnaître avec faîcheur qui l'on naît.

 

 
 

© 2006 milaya lodron